Une course effrénée aux grains est lancée et aura « des conséquences pour tous » : l'effondrement redouté de la superpuissance agricole qu'est l'Ukraine pose la question de la sécurité alimentaire mondiale, de la Mediterrannée aux confins de l'Asie, alerte le chercheur français Sébastien Abis…
De la chute des exportations à l'angoisse des semis pour la prochaine campagne, « la crise s'enlise et s'aggrave », constate le directeur général du club de réflexion sur l'agriculture Demeter et chercheur associé à l'Iris)…
« La guerre en Ukraine signifie la faim en Afrique », a déploré la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva, tandis que le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres mettait en garde contre « un ouragan de famines » dans de nombreux pays déjà fragiles. « L'insécurité alimentaire s'impose d'abord aux Ukrainiens, beaucoup de familles doivent fuir et ceux qui restent sont face à la préoccupation de trouver de la nourriture alors que les balles fusent », souligne Sébastien Abis…
Mais l'emballement a vite gagné le monde. « Les marchés ont surréagi parce que l'Ukraine est une superpuissance à l'exportation : les prix ont flambé car tout le monde se demande qui va pouvoir remplacer l'offre ukrainienne de blé, de maïs ou d'huile de tournesol (dont Kiev assure 50 % du commerce mondial) », explique-t-il…
Certains pays comme l'Égypte, qui fait venir 90 % de son blé de Russie et d'Ukraine, ont réduit leurs prévisions d'importations ou commencé à chercher d'autres origines. D'autres, comme l'Argentine, font le choix de la sécurité alimentaire nationale en décidant de suspendre leurs exportations d'huile de soja, dont elle est la première exportatrice mondiale…
Relevant que la Russie elle-même a « restreint ses exportations de céréales vers l'Eurasie » (Kazakhstan, Bélarus, Arménie, Kirghizstan), il s'interroge sur la destination de ces productions, notant que « la Chine fait face à une grande sécheresse et va devoir augmenter ses importations ».
Dès à présent, la flambée des prix s'impose comme préoccupation majeure pour tous les pays importateurs : la Libye, « dont les deux tiers du blé vient de Russie et d'Ukraine », l'Indonésie, « deuxième acheteur mondial », l'Éthiopie qui dépend à plus de 30% de ses importations russes, mais aussi le Pakistan, la Turquie, l'Érythrée...
Car « la crise touchera tout le monde » : « En France, on peut avoir des turbulences sociales se nourrissant de cette insécurité. En dictature, vous ne descendez pas manifester sans risque. Mais quand l'estomac est vide, on n'a plus grand-chose à perdre », souligne-t-il…
Alors que les prix mondiaux ont déjà dépassé le niveau record de 2008 qui avait conduit à des émeutes de la faim, il relève qu'« en Irak, il y a eu des manifestations tout le week-end contre les prix élevés »…